HUGO NADEAU
Résidence de commissaire | 2017-2019
"Je ne suis pas un commissaire. J’organise des expositions et des événements artistiques, mais j’ai consciemment l’habitude de me présenter comme un artiste visuel et un performeur. L’art agit comme médiation entre un concept, l’individualité d’un.e artiste et un contexte dans lequel ils s’inscrivent. Les émotions et l’instinct y jouent un rôle fondamental. J’ai basé ma propre création principalement sur le second. Ce n’est pas une fondation solide, mais l’artiste expérimental prend un risque par sa définition même.
Est-il possible de créer un programme de centre d’artistes, le basant sur l’intuition et les préférences personnelles, en se laissant guider par les émotions? L’opportunité est parfaite pour une expérience émotionnelle. Il y a une autre raison pour laquelle je rejette consciemment le concept. À titre de jury, organisateur d’événements et d’expositions, travaillant également à l’organisation de programmes d’artistes en résidence, j’ai eu l’occasion d’observer un phénomène troublant.
Le système de distribution des subventions crée des situations dans lesquelles seuls les auteurs de bonnes applications — en particulier les commissaires — sont choisis. Le rôle de ces derniers a pris en importance jusqu’au niveau du culte. Le concept et l’activité des commissaires se développent dans les espaces jusqu’alors réservés aux artistes eux-mêmes. Cela conduit à la surinterprétation des thématiques qui limitent la liberté du commentaire créatif. Dans les cas extrêmes, les artistes sélectionnés réalisent des projets sur un sujet assigné, mettant en œuvre la vision artistique du commissaire. J’ai été témoin de tentatives de complaisance menant parfois à l’autocensure.
Mon instinct artistique me dit de créer une plateforme ouverte pour divers artistes. Pour créer cette diversité, je me suis référé uniquement aux émotions dans ma sélection. Dans la liste, il y a des artistes que j’admire, que j’aime, que j’envie et dont j’ai peur. Les artistes ne vont présenter que ce qui est important à l’étape particulière de leur pratique.
L’art existe seulement en étant créé puis reçu. Elle est la propriété de la communauté momentanée des artistes et des spectateurs, dans laquelle il n’y a pas de place pour le critique d’art qui peut avoir un impact sur ce que nous ressentons. Nous l’expérimentons en activant l’instinct, les sens et les émotions. L’analyse approfondie et la compréhension globale peuvent venir seulement après l’accomplissement du travail, et parfois il faut encore plus de temps à l’artiste. Délaissant l’hypocrisie intellectuelle et la théorie affichées lors des appels de dossiers, je voudrais proposer la création sans intermédiaire, la forme ouverte, la liberté d’expression et même l’échec possible, à être soupesés sans compromissions par les spectateurs. »
Copie d'une présentation de projet de commissariat par l'artiste Tomasz Szrama au Festival Interakcje, Pologne, 2016. Hugo Nadeau, 2017
Autour du titre Trop de réalité, le commissaire en résidence Hugo Nadeau propose comme recherche sur deux ans, une thématique tenant plus d’une attitude que d’une esthétique particulière. Jamais nos moindres insignifiances personnelles, bibelots d’identité et petites joies n’ont connu autant de tribunes et de chances de s’exposer qu’aujourd’hui. Tout le monde est tellement intéressant. Pendant ce temps, jamais l’offre culturelle n’a été aussi hyperactive. Le travail carriériste continue de peser sur l’artiste professionnel-le, résigné aux processus de sélection et de financement. On consent à annoncer –bien en avance- ses intentions, comme on déclare le trajet d’une manifestation ou demande un permis d’alcool. La prévision (et avec la prévisibilité) artistiques sont exigées, validées et deviennent contrat. Et dans l’effervescent bouillon de culture qu’on nous médiatise, on jugerait qu’il suffit de ne pas être là pour tout voir, tout comprendre quand même, et même en avance.
En proie à ce trop de réalité qui colonise l’attention, aplanit l’imaginaire et nous conditionne absolument, comment résister à notre transformation en sage vendeur de nous-même, c’est-à-dire en quelqu’un qui ne fais que son travail? Ne serait-il pas délivrant de se faire dire que nous sommes tous des personnages d’un film?
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© Patrick Simard